Les inhibiteurs SGLT2 sont devenus un pilier du traitement du diabète de type 2. Ils aident à baisser la glycémie en faisant éliminer le sucre par les urines. Mais derrière ces bénéfices, se cache un danger méconnu : la cétose acido-diabétique (CAD), parfois avec une glycémie normale. Ce n’est pas une complication rare, ni marginale. C’est un risque réel, souvent mal diagnostiqué, qui peut être mortel.
Comment les inhibiteurs SGLT2 fonctionnent-ils ?
Les inhibiteurs SGLT2, comme le dapagliflozine (Farxiga), l’empagliflozine (Jardiance) ou le canagliflozine (Invokana), agissent sur les reins. Ils bloquent une pompe (le transporteur SGLT2) qui réabsorbe normalement le glucose dans le sang. En le bloquant, le sucre sort du corps par l’urine. Résultat : la glycémie baisse, sans risque d’hypoglycémie majeure. C’est pourquoi ces médicaments sont très prisés.
Ils ont aussi un autre avantage : ils protègent le cœur et les reins. Des études comme EMPA-REG OUTCOME et DECLARE-TIMI 58 ont montré qu’ils réduisent les décès cardiovasculaires et le risque d’insuffisance rénale chez les patients à risque. Mais ce bénéfice ne vient pas sans coût.
Qu’est-ce que la cétose acido-diabétique atypique (euDKA) ?
La cétose acido-diabétique traditionnelle se manifeste par une glycémie très élevée - souvent au-dessus de 250 mg/dL -, des cétones dans le sang, et un sang trop acide. C’est une urgence médicale. Mais avec les inhibiteurs SGLT2, la situation change.
On observe de plus en plus de cas d’euDKA - pour euglycemic diabetic ketoacidosis. Le patient présente tous les signes de la CAD : nausées, vomissements, douleurs abdominales, respiration rapide, fatigue extrême. Mais la glycémie est... normale ou seulement légèrement élevée. Souvent entre 100 et 200 mg/dL. C’est ce qui rend le diagnostic si difficile.
Les médecins pensent à une infection, à une indigestion, à une grippe. Ils ne pensent pas à la CAD. Et pourtant, le patient est en train de se décomposer métaboliquement. Le corps, privé de glucose facilement utilisable, brûle les graisses à toute vitesse. Les cétones s’accumulent. L’acidose s’installe. Sans traitement, ça peut tuer.
À quel point ce risque est-il réel ?
Les chiffres sont inquiétants. Une étude canadienne et britannique sur plus de 350 000 patients a montré que les inhibiteurs SGLT2 multiplient par près de trois le risque de CAD par rapport aux inhibiteurs DPP-4. L’Agence européenne des médicaments (EMA) a confirmé en juin 2023 que des cas graves, voire mortels, avaient été rapportés. 48,7 % des cas de CAD liés à ces médicaments étaient de type euDKA, selon les données de la FDA.
Le risque est le plus élevé les premiers mois de traitement. 63 % des épisodes surviennent dans la première année. La dose compte aussi : 300 mg de canagliflozine présentent un risque plus élevé que 100 mg. Et les patients avec une fonction des cellules bêta du pancréas très faible - c’est-à-dire ceux qui produisent peu ou pas d’insuline - sont les plus vulnérables. Un étude a montré que 2,4 % des patients avec un taux de C-peptide inférieur à 1,0 ng/mL ont développé une CAD, contre seulement 0,6 % chez ceux avec un taux plus élevé.
Quels facteurs déclenchent cette crise ?
Le médicament seul ne suffit pas. Il faut un déclencheur. Et il y en a plusieurs :
- Une maladie aiguë : infection, grippe, pneumonie, appendicite. Le corps stressé a besoin d’énergie, mais ne peut pas utiliser le glucose comme il faut.
- Une réduction ou un arrêt de l’insuline : souvent par erreur, chez des patients qui pensent qu’ils n’en ont plus besoin parce que leur glycémie est « bien ».
- Une chirurgie ou un jeûne prolongé : même pour une petite intervention dentaire, si le patient arrête de manger, le risque monte.
- Une consommation excessive d’alcool : l’alcool bloque la production de glucose par le foie, ce qui pousse le corps à brûler des graisses encore plus vite.
Les patients qui suivent un régime très faible en glucides - comme le régime cétogène - sont aussi à risque. Leur corps est déjà en mode « combustion des graisses ». Ajouter un inhibiteur SGLT2, c’est comme mettre de l’essence sur un feu.
Comment éviter cette complication ?
La bonne nouvelle, c’est que ce risque est évitable - si on agit à temps.
La première règle : ne pas prescrire ces médicaments à tout le monde. L’Association américaine du diabète recommande de les éviter chez :
- Les patients ayant déjà eu une CAD
- Les patients atteints de diabète de type 1 (sauf cas très spécifiques, sous surveillance stricte)
- Les patients avec une production d’insuline très faible (insulinopénie)
- Les patients à risque de déshydratation (personnes âgées, sous diurétiques, en été)
Ensuite, voici ce qu’il faut faire chez les patients qui en prennent déjà :
- Éduquer le patient : lui dire clairement que les symptômes de la CAD ne sont pas toujours accompagnés d’une glycémie élevée. Il doit reconnaître les signes : nausées, vomissements, douleurs abdominales, fatigue intense, haleine fruitée, respiration rapide.
- Enseigner la mesure des cétones : lui donner des bandelettes urinaires ou un lecteur de cétones sanguines. Il doit les utiliser dès qu’il se sent mal, même si sa glycémie est à 180 mg/dL.
- Arrêter le traitement avant toute intervention chirurgicale : au moins 3 jours avant, comme le recommande l’AACE et l’EASD.
- Ne jamais arrêter l’insuline sans avis médical, même si la glycémie est basse.
Une étude publiée dans Diabetes Care en 2022 a montré qu’avec cette éducation simple, le nombre de cas de CAD a baissé de 67 %.
Qu’en est-il des études contradictoires ?
Vous avez peut-être lu que certains essais n’ont pas trouvé de lien entre les inhibiteurs SGLT2 et la CAD. C’est vrai. Une méta-analyse de 2023, incluant plus de 70 000 patients, n’a pas trouvé de différence significative par rapport au placebo. Pourquoi cette contradiction ?
Parce que ces études incluent souvent des patients en bonne santé, sans facteurs de risque. Elles ne capturent pas les cas réels qui se produisent dans la vie quotidienne - quand un patient tombe malade, ou arrête son insuline, ou suit un régime extrême. Les données de la vie réelle, elles, sont claires : le risque existe, et il est sous-diagnostiqué.
De plus, les études portant sur le diabète de type 1 montrent un risque plus faible - mais c’est parce que ces patients sont déjà surveillés de près, avec des niveaux de cétones contrôlés régulièrement. Ce n’est pas le cas chez la majorité des patients atteints de diabète de type 2.
Que font les autorités sanitaires ?
Les agences de santé ont réagi. La FDA a mis à jour les étiquettes des médicaments dès 2015. L’EMA, en juin 2023, a exigé que tous les prospectus mentionnent explicitement le risque de euDKA. Les médecins doivent maintenant être formés à penser à la CAD même si la glycémie est normale.
Des outils d’alerte précoce sont en développement. Une étude publiée dans Lancet Digital Health en 2024 a créé un modèle d’intelligence artificielle qui prédit le risque de CAD avec 87 % de précision, en analysant 15 paramètres cliniques : âge, poids, taux de C-peptide, traitement en cours, antécédents d’infections, etc. Ce n’est pas encore standard, mais ça vient.
Le futur : des médicaments plus sûrs ?
Les laboratoires travaillent sur de nouvelles molécules. Certains inhibiteurs combinés SGLT1/SGLT2 - comme le licogliflozin - sont en phase 3 d’essais. L’idée : ralentir l’absorption du sucre dans l’intestin, ce qui réduirait la pression sur les reins et pourrait diminuer le risque de cétose. Ce n’est pas encore disponible, mais c’est une piste sérieuse.
La FDA vient aussi d’annoncer que tous les futurs inhibiteurs SGLT2 devront inclure dans leurs essais une surveillance spécifique de la CAD, y compris les formes euglycémiques. C’est une avancée majeure.
Conclusion : bénéfices contre risques - que choisir ?
Les inhibiteurs SGLT2 sauvent des vies. Ils réduisent les infarctus, les hospitalisations pour insuffisance cardiaque, et ralentissent la détérioration rénale. Pour beaucoup de patients, les bénéfices l’emportent largement sur les risques.
Mais ce n’est pas une pilule sans danger. Ce n’est pas un « traitement facile ». C’est un outil puissant, qui demande une vigilance constante. Le risque de CAD n’est pas une simple note en bas de page. C’est une urgence potentielle, silencieuse, qui tue parce qu’on ne la voit pas venir.
Si vous êtes patient : apprenez à reconnaître les signes. Mesurez vos cétones quand vous êtes malade. Ne prenez pas de décisions seuls. Parlez à votre médecin.
Si vous êtes médecin : ne sous-estimez pas une simple nausée. Vérifiez les cétones. Ne vous fiez pas à la glycémie seule. Et ne prescrivez pas ces médicaments à la légère.
Le diabète ne se soigne pas avec une seule stratégie. Il se gère avec attention, connaissance, et respect des risques.
Qu’est-ce que l’euDKA et pourquoi est-ce différent de la cétose acido-diabétique classique ?
L’euDKA, ou cétose acido-diabétique euglycémique, est une forme de cétose acido-diabétique où la glycémie est normale ou seulement légèrement élevée (souvent entre 100 et 200 mg/dL), contrairement à la forme classique où elle dépasse 250 mg/dL. Cela rend le diagnostic plus difficile, car les médecins et les patients pensent souvent que « pas de glycémie élevée = pas de crise ». Pourtant, les cétones sont présentes en quantité dangereuse, et le sang est acide. C’est une urgence médicale, même si la glycémie semble « sous contrôle ».
Quand faut-il arrêter un inhibiteur SGLT2 avant une chirurgie ?
Il faut arrêter l’inhibiteur SGLT2 au moins 3 jours avant une intervention chirurgicale, même mineure, comme une extraction dentaire. Pendant le jeûne, le corps n’a pas assez de glucose pour fonctionner, et le médicament pousse le corps à brûler des graisses, ce qui augmente le risque de cétose. Cette recommandation est valide pour tous les inhibiteurs SGLT2, quel que soit le nom commercial.
Faut-il vérifier les cétones tous les jours si je prends un inhibiteur SGLT2 ?
Non, il ne faut pas vérifier les cétones quotidiennement. Mais il faut le faire dès que vous avez un symptôme : nausées, vomissements, douleurs abdominales, fatigue inhabituelle, haleine fruitée, ou respiration rapide. C’est aussi important si vous êtes malade (grippe, infection), si vous mangez peu, ou si vous consommez de l’alcool. Si les cétones sont modérées ou élevées, même avec une glycémie normale, consultez immédiatement un médecin.
Les inhibiteurs SGLT2 sont-ils interdits chez les patients atteints de diabète de type 1 ?
Ils ne sont pas approuvés pour le diabète de type 1 dans la plupart des pays. Cependant, dans certains cas très spécifiques - comme une obésité associée à un diabète de type 1 bien contrôlé - certains médecins les utilisent en dehors de l’AMM, avec une surveillance très stricte. Mais ce n’est pas une pratique courante. Le risque de CAD est plus élevé chez les patients avec un déficit en insuline, ce qui est le cas du diabète de type 1.
Quels sont les signes que je dois reconnaître pour éviter une urgence ?
Les signes à ne pas ignorer : nausées ou vomissements persistants, douleurs abdominales inexpliquées, fatigue extrême, respiration rapide ou profonde (souvent décrite comme « respiration de Kussmaul »), haleine qui sent le fruit ou les cires (odeur de pomme pourrie), confusion ou somnolence. Même si votre glycémie est à 150 mg/dL, si vous avez plusieurs de ces signes, testez vos cétones et allez aux urgences.
Ecrit par Gaëlle Veyrat
Voir tous les articles par: Gaëlle Veyrat