En bref
- L'ostéodystrophie touche près de 50% des patients sous dialyse longue durée.
- Les déséquilibres de phosphate et de calcium, ainsi qu'une hyperparathyroïdie, sont les principales causes.
- Une alimentation contrôlée, des chélateurs de phosphate et des suppléments de vitamineD réduisent le risque.
- Les calcimimétiques et la transplantation rénale offrent des options thérapeutiques avancées.
- Un suivi trimestriel des marqueurs biologiques permet d'ajuster le traitement rapidement.
Qu’est‑ce que l’ostéodystrophie chez les patients en dialyse ?
Lorsque le rein ne fonctionne plus, l’équilibre minéral du corps se dérègle. Ostodystrophie désigne un ensemble d’anomalies osseuses liées à une maladie rénale chronique. Elle se manifeste par une fragilité osseuse, des douleurs articulaires et un risque accru de fractures. Cette pathologie est souvent appelée « maladie osseuse rénale », mais le terme osteodystrophie recouvre les changements tant de densité que de structure du tissu osseux.
Les causes principales
Chez les patients sous dialyse procédure qui remplace la fonction rénale en filtrant le sang, plusieurs mécanismes s’enchevêtrent :
- Hyperphosphatémie : le rein défaillant ne peut plus excréter le phosphate, qui s’accumule dans le sang. Cette hausse stimule la sécrétion de parathormone hormone régulant le calcium et le phosphate, menant à une résorption osseuse accrue.
- Hypocalcémie : le manque de conversion de la vitamine D en forme active diminue l’absorption intestinale du calcium, aggravant la sécrétion de parathormone.
- Déficit en vitamineD : les reins sont responsables de la transformation du précurseur en vitamineD molecule essentielle à la régulation du calcium et du phosphate. En insuffisance rénale, cette étape est compromise.
- Hyperparathyroïdie secondaire : réponse adaptative à l’hyperphosphatémie et l’hypocalcémie, elle entraîne une mobilisation excessive du calcium osseux.
Ces déséquilibres créent un cycle vicieux: plus le phosphate monte, plus la parathormone augmente, et plus les os se déminéralisent.
Facteurs de risque additionnels
Outre les désordres biochimiques, d’autres éléments aggravent l’ostéodystrophie :
- Âge avancé: la densité osseuse chute naturellement.
- Diabète: il favorise une inflammation chronique qui influence la remodelage osseux.
- Durée de la dialyse: chaque année supplémentaire augmente le risque de fractures de 10%.
- Médicaments contenant du calcium (hydroxyde de calcium) ou du fer qui peuvent interférer avec le métabolisme du phosphate.
- Inactivité physique: le manque de charge mécanique affaiblit le tissu osseux.
Prévention : comment ralentir ou éviter la maladie
La prévention repose sur trois axes: nutrition, médicaments et mode de vie.
- Alimentation maîtrisée en phosphate: choisir des protéines de haute qualité à faible teneur en phosphate (poisson, volaille) et limiter les produits laitiers riches en phosphate ajouté.
- Chélateurs de phosphate: ces médicaments se lient au phosphate dans le tube digestif pour en empêcher l’absorption. Les principaux sont le carbonate de calcium, le sevelamer et le lanthanum.
- Supplémentation en vitamineD: utiliser des formes actives comme le calcitriol ou l’alfacalcidol pour corriger le déficit.
- Calcimimétiques: médicaments qui augmentent la sensibilité des récepteurs de la parathormone, réduisant ainsi sa sécrétion.
- Activité physique adaptée: exercices de résistance légers à modérés (marche rapide, yoga) stimulent la formation osseuse.
Un suivi régulier de la phosphate, du calcium et du parathormone tous les trois mois permet d’ajuster les doses avant que les lésions osseuses ne deviennent irréversibles.
Traitements disponibles : ce qui fonctionne le mieux
Lorsque la prévention n’est pas suffisante, plusieurs traitements ciblent directement les mécanismes physiopathologiques.
- Chélateurs de phosphate (ex. sevelamer): efficaces pour réduire le taux sérique de phosphate sans ajouter de calcium, limitant ainsi les dépôts vasculaires.
- Suppléments actifs de vitamineD (calcitriol, paricalcitol): augmentent l’absorption du calcium et inhibent la sécrétion de parathormone.
- Calcimimétiques (cinacalcet): réduisent la parathormone même en présence d’hyperphosphatémie, souvent utilisés en association avec les chélateurs.
- Transplantation rénale: la solution curative qui restaure la fonction rénale et normalise le métabolisme minéral, mais elle reste limitée par la disponibilité des organes.

Comparaison des principales options thérapeutiques
Traitement | Principe d’action | Avantages clés | Limites / effets secondaires |
---|---|---|---|
Sevelamer (chélateur) | Liaison du phosphate intestinal | Réduction du phosphate sans calcium, améliore la santé vasculaire | Nausées, constipation, coût élevé |
Calcitriol (vitamineD active) | Augmente l’absorption du calcium et limite la PTH | Améliore la densité osseuse, simple à administrer | Risque d’hypercalcémie, nécessite surveillance |
Cinacalcet (calcimimétique) | Sensibilise le récepteur de la parathormone | Réduction puissante de la PTH, utile en hyperparathyroïdie sévère | Hypocalcémie, interactions médicamenteuses |
Transplantation rénale | Restaure la fonction rénale complète | Correction durable du métabolisme minéral | Disponibilité limitée, risque de rejet et d’immunosuppression |
Suivi et surveillance : quels examens réaliser
Un protocole de suivi standard comprend:
- Mesure du phosphate sérique, du calcium total et ionisé, et du PTH intact tous les 3mois.
- Évaluation de la calcémie et du taux de 25‑OH‑vitamineD annuellement.
- Imagerie osseuse (radiographie, densitométrie DEXA) tous les 1 à 2ans pour détecter les fractures silencieuses.
- Examen clinique des douleurs musculo‑squelettiques et de la mobilité.
Ces données permettent d’ajuster les dosages de chélateur, de vitamineD et de calcimimétique avant que la maladie ne progresse; c’est un vrai jeu d’équilibre où chaque paramètre doit rester dans une «fenêtre thérapeutique» bien définie.
Scénarios de prise en charge selon le profil du patient
Voici trois profils typiques et les recommandations associées:
- Patient jeune, dialyse depuis < 2ans: privilégier le sevelamer pour éviter le calcium supplémentaire, associer un supplément de vitamineD et encourager une activité physique régulière.
- Patient âgé, comorbidité diabétique, hyperparathyroïdie sévère: combinaison de cinacalcet + sevelamer, surveillance rapprochée de la calciurie pour prévenir l’hypocalcémie.
- Patient en attente de transplantation: optimiser le contrôle du phosphate et de la PTH afin de réduire les complications vasculaires post‑transplantation; envisager une courte période de vitamineD active après la greffe.
Conseils pratiques au quotidien
- Lire les étiquettes: le phosphate souvent caché dans les additifs (E450‑E452).
- Diviser la prise de chélateur en plusieurs prises pendant les repas pour augmenter l’efficacité.
- Faire mesurer le taux de vitamineD au moins une fois par an, même si vous prenez déjà un supplément.
- Planifier une séance d’exercices de résistance deux fois par semaine; même des bandes élastiques suffisent.
- Tenir un journal des effets secondaires: certains patients remarquent une constipation accrue avec le sevelamer qui peut être soulagée par plus d’hydratation.
Perspectives futures
La recherche se concentre sur les agents qui ciblent directement les récepteurs de la fibroblaste‑growth‑factor‑23 (FGF‑23) et sur les nouvelles formes de chélateurs à libération prolongée qui réduisent le nombre de prises quotidiennes. De plus, les stratégies de médecine personnalisée, basées sur le profil génétique du métabolisme du phosphate, pourraient bientôt permettre d’ajuster le traitement à la moindre dose efficace.
Questions fréquentes
Pourquoi l’ostéodystrophie apparaît‑elle si tôt chez les patients dialysés?
Le rein défaillant entraîne une accumulation de phosphate et une déficience en vitamineD. Ces deux facteurs stimulent la parathormone qui, à son tour, mobilise le calcium des os. Le processus débute dès les premiers mois de dialyse, d’où l’importance d’un contrôle précoce.
Quel est le meilleur chélateur de phosphate?
Le choix dépend du profil du patient. Le sevelamer évite l’apport en calcium, ce qui est préférable chez ceux à risque de calcification vasculaire. Le lanthanum est une alternative avec moins d’effets gastro‑intestinaux, mais son coût peut être un frein.
Comment savoir si j’ai besoin d’un calcimimétique?
Lorsque le PTH reste supérieur à 600pg/mL malgré un bon contrôle du phosphate et de la vitamineD, le cinacalcet ou le etelcalcetide sont souvent indiqués. Un suivi de la calciémie est alors indispensable pour éviter l’hypocalcémie.
La transplantation rénale guérit‑elle l’ostéodystrophie?
Oui, dans la plupart des cas, la fonction rénale restaurée normalise le métabolisme du calcium, du phosphate et de la vitamineD, ce qui permet la récupération osseuse. Cependant, la durée d’exposition à l’ostéodystrophie avant la greffe influence le degré de récupération.
Dois‑je modifier mon alimentation même si je suis déjà sous chélateur?
Absolument. Les chélateurs ne captent pas tout le phosphate ingéré. Réduire les aliments riches en phosphates ajoutés (charcuteries, fromage fondu, boissons gazeuses) maximise l’efficacité du traitement et diminue la charge médicamenteuse.
En résumé, l’ostéodystrophie chez les patients en dialyse est largement évitable et maîtrisable grâce à une approche combinée d’alimentation, de médicaments ciblés et de suivi régulier. En appliquant ces principes, les patients peuvent conserver une meilleure qualité de vie et réduire le risque de fractures graves.
Ecrit par Gaëlle Veyrat
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