Évalueur de risque d'acidose lactique médicamenteuse
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Imaginez un patient âgé, traité pour le diabète avec de la metformine, qui développe une forte respiration, une faiblesse soudaine, et une confusion. Les médecins pensent d’abord à une infection ou à une déshydratation. Mais les analyses révèlent un taux de lactate à 12 mmol/L - bien au-dessus de la norme (0,5 à 2,2 mmol/L). Le pH du sang est à 7,20. C’est une acidose lactique. Et elle est causée par un médicament qu’il prend depuis des années.
Ce n’est pas un cas isolé. Depuis les années 1970, on sait que certains médicaments, même pris à la bonne dose, peuvent déclencher une acidose lactique. Une complication rare, certes, mais qui tue jusqu’à 16 % des patients qui en sont atteints. Et ce qui la rend si dangereuse, c’est qu’elle se cache souvent derrière des symptômes vagues : fatigue, nausées, respiration rapide. Beaucoup de médecins la confondent avec une infection grave ou un choc septique.
Comment un médicament peut-il provoquer une acidose lactique ?
L’acidose lactique se produit quand le corps produit trop de lactate - un acide qui s’accumule quand les cellules ne peuvent pas produire d’énergie avec de l’oxygène. Normalement, le lactate est éliminé par le foie et les reins. Mais certains médicaments perturbent ce système.
La metformine, le médicament le plus prescrit pour le diabète de type 2, est l’un des plus connus. Elle bloque la production de glucose par le foie, mais aussi, dans certains cas, la capacité des mitochondries à utiliser l’oxygène. Résultat : les cellules passent à la voie anaérobie, produisant du lactate en excès. Mais la metformine ne cause pas l’acidose seule. Il faut souvent un facteur déclenchant : une infection, une insuffisance rénale, une déshydratation. Dans 72 % des cas de l’acidose lactique liée à la metformine, le patient a une clairance de la créatinine inférieure à 60 mL/min. Autrement dit, ses reins ne filtrent pas bien.
Le linezolid, un antibiotique utilisé pour les infections résistantes, agit différemment. Il bloque la fabrication des protéines dans les mitochondries. Sans ces protéines, les cellules ne peuvent plus produire d’énergie efficacement. Le corps réagit en brûlant plus de sucre sans oxygène - et produit du lactate. Ce phénomène survient surtout après 14 jours de traitement. Une étude montre que 2,5 à 15 % des patients sous linezolid prolongé développent une élévation du lactate.
Et puis il y a les bronchodilatateurs comme l’albuterol. Vous pensez peut-être qu’ils sont sûrs ? Pas toujours. L’albuterol stimule les récepteurs bêta-2, ce qui augmente la glycogénolyse et la lipolyse. Le résultat ? Plus de pyruvate, et moins de capacité à le transformer en énergie. Le pyruvate se transforme donc en lactate. Un cas documenté en 2025 montre un taux de lactate à 11 mmol/L après une nébulisation standard - qui est descendu à 4,5 mmol/L après avoir réduit la fréquence des traitements.
Les médicaments les plus à risque
Une revue systématique de 2019, qui a analysé plus de 1 900 études, a identifié 59 médicaments capables d’induire une acidose lactique. Mais certains sont beaucoup plus fréquemment impliqués.
- Épinéphrine et albuterol : ensemble, ils représentent plus de 60 % des cas signalés. Ce sont les plus courants - et souvent les moins reconnus.
- Metformine : 12,3 % des cas. Malgré sa sécurité globale, elle reste la principale cause médicamenteuse chez les diabétiques âgés.
- Linezolid : 8,7 % des cas. Risque accru au-delà de 14 jours.
- Acétaminophène : souvent ignoré. Chez les personnes âgées avec plusieurs maladies, même les doses normales peuvent perturber les mitochondries.
- NRTI (inhibiteurs de la transcriptase inverse) : utilisés pour le VIH. Le risque est plus élevé chez les femmes, les patients avec un faible taux de CD4, et ceux avec une insuffisance rénale.
- Propofol : utilisé en réanimation pour la sédation. Le syndrome de la perfusion au propofol inclut une acidose lactique, une insuffisance cardiaque, et une mort dans plus de 66 % des cas.
La plupart de ces médicaments sont prescrits à des doses autorisées. Seulement 10,8 % des cas résultent d’une surdose. Le vrai danger, c’est la combinaison : un patient âgé, avec une insuffisance rénale, sous metformine, qui tombe malade, reçoit de l’albuterol pour une bronchite, et du linezolid pour une infection. Trois médicaments à risque en même temps. Et voilà l’acidose qui arrive.
Comment la détecter avant qu’il ne soit trop tard ?
Le diagnostic repose sur trois critères : un taux de lactate > 4 mmol/L, un pH sanguin < 7,35, et un bicarbonate < 22 mmol/L. Mais certains experts pensent qu’il faut s’inquiéter dès 3 mmol/L chez les patients à risque.
La clé, c’est la vigilance. Si un patient présente une respiration rapide, une fatigue inhabituelle, ou une confusion - surtout s’il prend un de ces médicaments - il faut mesurer le lactate. Pas seulement en cas d’urgence, mais en routine chez les patients à risque.
Les patients les plus vulnérables : les plus de 65 ans, ceux avec une insuffisance rénale (eGFR < 60 mL/min), les personnes avec plusieurs maladies chroniques, et celles qui reçoivent plusieurs médicaments à la fois. Chez eux, une simple élévation du lactate peut être le premier signe d’un problème grave.
Un nouveau système de surveillance continue du lactate, approuvé par la FDA en 2023, permet de suivre les niveaux en temps réel. Dans les essais, il a réduit le délai de détection de 12,4 heures à seulement 2,1 heures. C’est un progrès majeur pour les patients en réanimation sous épinéphrine ou albuterol.
Que faire quand l’acidose est confirmée ?
La première règle : arrêter le médicament responsable - sauf en cas d’urgence vitale. Par exemple, si un patient est en choc anaphylactique, on ne peut pas arrêter l’épinéphrine. Mais on doit alors surveiller le lactate de près et préparer un plan de sortie.
Le traitement de base est la réhydratation : 20 à 30 mL/kg de solution saline en bolus. Cela améliore la perfusion et aide les reins à éliminer le lactate.
La bicarbonate ? On en parle beaucoup, mais les dernières recommandations (Sepsis Campaign 2021) disent : ne l’utilisez pas en routine. Elle ne diminue pas la mortalité. Elle peut même aggraver les choses en augmentant la production de CO2. Seul cas d’exception : un pH < 7,15.
La dialyse est recommandée pour les cas sévères de metformine : lactate > 20 mmol/L ou pH < 7,1. Elle élimine à la fois la metformine et le lactate. Dans un cas rapporté, un patient avec un lactate à 25 mmol/L a vu son taux tomber à 4 mmol/L après deux séances de dialyse.
La surveillance est cruciale : mesurer le lactate toutes les 2 à 4 heures. Un bon signe ? Une réduction de 50 % en deux heures après l’arrêt du médicament et la réhydratation. Si le lactate ne baisse pas, cherchez une autre cause - infection, hémorragie, infarctus.
Comment éviter l’acidose lactique ?
La prévention est la meilleure arme. Voici ce que les médecins doivent faire :
- Metformine : ne la prescrivez pas si l’eGFR est < 30 mL/min. Pour un eGFR entre 45 et 59, réduisez la dose et surveillez les reins tous les 3 mois.
- Linezolid : limitez la durée à 14 jours maximum. Si vous devez aller plus loin, vérifiez le lactate au jour 7.
- Albuterol : utilisez la dose la plus faible possible. Si un patient a une acidose non expliquée, réduisez la fréquence des nébulisations avant d’augmenter la dose.
- NRTI : faites un bilan mitochondrial chez les patientes, surtout si elles ont un CD4 bas ou une insuffisance rénale.
- Acétaminophène : méfiez-vous chez les personnes âgées avec maladies du foie ou rénales. Même 4 g/jour peut être dangereux dans certains cas.
Et surtout : parlez avec les pharmaciens. Une étude montre qu’ils sont souvent les premiers à remarquer un lien entre un médicament et une élévation du lactate. Ils ont accès à toutes les prescriptions du patient. Ils voient les combinaisons que le médecin pourrait rater.
Les erreurs courantes et ce qu’elles coûtent
Beaucoup de médecins continuent les médicaments à risque même quand le lactate est élevé - parce qu’ils pensent que le traitement est vital. Un cas rapporté : un patient en choc septique recevait de l’épinéphrine, de l’albuterol et du linezolid. Le lactate était à 15 mmol/L. On a continué les trois traitements. Le patient est décédé. L’autopsie a montré que l’acidose, pas l’infection, était la cause principale.
Un autre problème : l’acétaminophène. Les patients âgés arrivent avec une fatigue, une perte d’appétit, une respiration rapide. On pense à une grippe. On ne mesure pas le lactate. Le diagnostic est posé 36 heures plus tard. Le taux de mortalité double.
Et puis il y a l’albuterol. Un pneumologue a écrit sur un forum : « J’ai vu plusieurs patients où on augmentait les nébulisations parce que la respiration s’aggravait - sans réaliser que c’était l’albuterol qui causait l’acidose, qui elle-même provoquait la respiration rapide. »
La vérité ? L’acidose lactique induite par les médicaments est sous-diagnostiquée. Elle n’est pas rare dans les hôpitaux. Elle est juste ignorée.
Que va changer dans les prochaines années ?
Les choses évoluent. En 2024, les lignes directrices internationales recommandent désormais de surveiller le lactate chez tous les patients sous perfusion d’épinéphrine ou sous dose élevée d’albuterol. C’est un changement majeur.
Des recherches sont en cours pour identifier des gènes qui rendent certaines personnes plus vulnérables. Une étude de 2023 a trouvé une variante du gène POLG qui multiplie par 8,3 le risque d’acidose avec les NRTI. Demain, on pourra faire un test génétique avant de prescrire certains traitements.
Le Cleveland Clinic estime que, grâce à une meilleure détection et à des protocoles de surveillance, le nombre d’acidoses sévères pourrait baisser de 25 % d’ici 5 ans. Mais ils ajoutent : « Cette complication restera un risque de faible fréquence mais de haute mortalité. La vigilance ne doit jamais baisser. »
Un médicament qui sauve la vie peut aussi la prendre. Ce n’est pas une contradiction. C’est une réalité. Et la clé, c’est de savoir quand regarder au-delà du symptôme. Quand demander le lactate. Quand arrêter un traitement. Quand écouter les signaux que le corps envoie, même s’ils sont discrets.
Quels sont les signes d’une acidose lactique causée par un médicament ?
Les signes sont souvent vagues : respiration rapide et profonde, fatigue intense, nausées, vomissements, confusion, ou sensation de malaise général. Chez les patients âgés, on peut seulement observer une baisse d’appétit ou une somnolence. Le diagnostic repose sur une analyse sanguine : un taux de lactate > 4 mmol/L, un pH < 7,35, et un bicarbonate < 22 mmol/L.
La metformine est-elle toujours dangereuse ?
Non, la metformine est très sûre pour la majorité des patients. Le risque d’acidose lactique est très faible : entre 3 et 10 cas pour 100 000 patients par an. Mais il augmente fortement chez les personnes ayant une insuffisance rénale, une infection sévère, une déshydratation, ou un âge avancé. Il faut surveiller la fonction rénale régulièrement et arrêter le traitement en cas de maladie aiguë.
Peut-on réutiliser un médicament après une acidose lactique ?
Généralement, non. La plupart des médicaments impliqués - comme la metformine, le linezolid ou l’albuterol - doivent être arrêtés définitivement. Même si le taux de lactate est revenu à la normale, réexposer le patient au même médicament augmente le risque de récidive, souvent plus grave. Des exceptions existent pour des traitements vitaux (ex. : épinéphrine en anaphylaxie), mais seulement sous surveillance étroite.
Pourquoi les patients âgés sont-ils plus à risque ?
Les reins et le foie fonctionnent moins bien avec l’âge, ce qui réduit l’élimination du lactate et des médicaments. Les personnes âgées ont aussi plus de maladies chroniques et prennent plus de médicaments à la fois. La combinaison de plusieurs facteurs - insuffisance rénale, infection, traitement par metformine ou albuterol - augmente le risque de façon exponentielle.
Le lactate doit-il être mesuré en routine chez les patients sous metformine ?
Non, pas en routine. Mais il faut le mesurer en cas de symptômes inexpliqués : fatigue, respiration rapide, nausées. C’est aussi obligatoire si le patient est hospitalisé pour une infection, une crise cardiaque, ou une déshydratation - surtout s’il a une insuffisance rénale. La mesure du lactate est un geste simple, rapide, et qui peut sauver une vie.
Ecrit par Gaëlle Veyrat
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