Beaucoup de femmes prennent des médicaments pendant la grossesse - souvent sans savoir si c’est sûr. En France comme aux États-Unis, entre 70 % et 90 % des femmes utilisent au moins un médicament pendant leur grossesse, et la moitié en prennent quatre ou plus. Pourtant, la plupart des traitements n’ont jamais été testés sur des femmes enceintes. C’est pourquoi les alertes de sécurité sur les médicaments pendant la grossesse existent : pour protéger la mère et le bébé, mais aussi pour éviter les erreurs coûteuses, parfois tragiques.
Les anciennes étiquettes, un système qui a fait plus de mal que de bien
Il y a quelques années, les médicaments portaient une lettre : A, B, C, D ou X. On pensait que ça simplifiait les choses. La lettre A voulait dire « sûr », la X « interdit ». Mais en réalité, ça a créé plus de confusion que de clarté. Les femmes arrêtaient leurs traitements par peur, même quand c’était dangereux de le faire. Une étude menée à l’hôpital Mass General a montré que cette confusion a conduit à une baisse de 18 % des arrêts inutiles de médicaments après la suppression de ce système.En 2015, la FDA aux États-Unis a supprimé ces lettres. À la place, elle a imposé des descriptions claires et détaillées dans les notices : une section « Grossesse », une autre « Allaitement », et une troisième sur la fertilité. L’idée ? Ne plus dire « c’est dangereux », mais expliquer pourquoi, à quel point, et quels sont les risques réels. En Europe, l’EMA a suivi une voie similaire, mais avec plus d’exigences pour les fabricants : ils doivent surveiller activement les cas de grossesse après la mise sur le marché, surtout pour les médicaments à risque connu.
Les données manquent… et c’est un problème majeur
Le cœur du problème, c’est qu’on ne sait presque rien. Entre 2003 et 2012, seulement 5 à 10 % des médicaments approuvés par la FDA avaient des données suffisantes sur leur impact pendant la grossesse. Aujourd’hui, c’est encore pire pour les nouveaux traitements. Les essais cliniques excluent presque toujours les femmes enceintes - et pour cause : on ne veut pas risquer un bébé. Mais cette prudence crée un vide gigantesque.Les registres de grossesse, qui recueillent des données sur les femmes qui prennent un médicament pendant leur grossesse, existent, mais ils sont sous-utilisés. La FDA en a 38 actifs, mais seulement 22 % des entreprises pharmaceutiques les maintiennent comme exigé. Et même quand elles sont actives, elles capturent moins de 1 % des cas réels. Une étude de l’UC San Diego montre que les alertes de sécurité arrivent en moyenne 7,2 ans trop tard - parce qu’on attend trop longtemps pour avoir assez de données.
Des différences entre les États-Unis et l’Europe
Aux États-Unis, la FDA exige des notices détaillées, mais elle ne force pas les médecins à les lire. Une étude de l’ACOG en 2019 a montré que seulement 32 % des notices contenaient des chiffres précis sur les risques. En Europe, l’EMA va plus loin : pour certains médicaments très dangereux comme le lenalidomide (traitement du myélome), il faut un test de grossesse avant chaque ordonnance, une contraception obligatoire, et une formation spécifique pour les médecins. C’est plus lourd, mais plus efficace.Le problème ? L’EMA ne contrôle pas bien l’application de ses propres règles. Un audit de la Commission européenne en 2022 a révélé que 41 % des entreprises n’ont pas respecté les exigences minimales de suivi des grossesses. En France, les médecins doivent donc faire preuve de prudence : ils ne peuvent pas se fier uniquement à la notice. Ils doivent consulter les bases de données spécialisées, comme celles de l’ANSM, ou appeler les centres d’information sur les médicaments pendant la grossesse.
Les médicaments à éviter absolument
Certains médicaments sont clairement dangereux. L’isotrétinoïne (Accutane), utilisée pour l’acné sévère, cause des malformations graves dans 20 à 35 % des cas. Le valproate, pour l’épilepsie ou les troubles bipolaires, augmente le risque de malformations du tube neural de 0,1 % à 1-2 %. Le thalidomide, connu pour les drames des années 1960, est toujours interdit, mais des cas isolés surviennent encore à cause de mauvaises prescriptions.En revanche, certains médicaments que les femmes arrêtent par peur sont en réalité essentiels. Les antidépresseurs comme la sertraline, les antihypertenseurs comme la méthylodopa, ou les traitements pour l’asthme comme le budesonide - tous ont des données solides de sécurité. Une étude du Mass General a montré que 78 % des appels reçus concernaient des anxiolytiques ou antidépresseurs, et que 63 % des cas ont été résolus en recommandant de continuer le traitement, pas de l’arrêter.
Que faire en pratique ?
La première règle : ne jamais arrêter un traitement sans consulter. Si vous êtes enceinte ou vous le devenez, passez à un rendez-vous de réconciliation médicamenteuse. C’est un processus simple : vous listez tout ce que vous prenez - médicaments sur ordonnance, en vente libre, compléments, plantes - et votre médecin ou sage-femme vérifie chaque produit avec vous. Ce rendez-vous dure en moyenne 22 minutes, mais il peut sauver la santé de votre bébé.Ne vous fiez pas aux sites internet comme Drugs.com, où les informations sont contradictoires. Les utilisateurs donnent en moyenne 2,7 sur 5 pour la clarté des informations. Privilégiez les sources officielles : le site de la FDA « Medicine and Pregnancy », celui de l’ANSM, ou les lignes d’écoute spécialisées comme le Centre de Référence sur les Agents Terratogènes en France. Ces services sont gratuits, confidentiels, et gérés par des spécialistes.
Et n’oubliez pas la folic acid. Prenez 800 microgrammes par jour dès que vous envisagez une grossesse, et continuez jusqu’à la 12e semaine. Cela réduit de 70 % le risque de malformations du tube neural. C’est l’un des seuls conseils de santé publique pendant la grossesse qui a une preuve solide, et qui coûte moins de 10 euros par an.
Le futur : des outils mieux connectés
Le système actuel est trop lent, trop fragmenté. Mais de nouveaux projets voient le jour. Aux États-Unis, le NIH lance PREGNET en 2024 : un réseau national reliant 45 centres universitaires pour suivre 100 000 grossesses en temps réel. En Europe, l’EMA va imposer des mesures de prévention renforcées pour 12 médicaments à haut risque d’ici 2025. Et les entreprises commencent à développer des applications mobiles pour suivre les traitements pendant la grossesse - même si seulement 12 % ont un vrai impact.Le plus prometteur ? L’intelligence artificielle. IBM Watson Health prédit qu’en 2027, les algorithmes pourront prédire les risques avec 70 % de précision en analysant des millions de dossiers médicaux anonymisés. Mais ça ne remplacera pas les médecins. Ça les aidera seulement à mieux conseiller.
Les femmes ne veulent pas de mystère - elles veulent des réponses claires
Sur Reddit, des milliers de femmes écrivent : « Mon médecin m’a dit d’arrêter mon antidépresseur. Maintenant, je suis en crise. Pourquoi personne ne me dit ce qui est vraiment sûr ? » Ce n’est pas de la paranoïa. C’est de la désinformation systémique. Le système de sécurité des médicaments pendant la grossesse n’est pas cassé - il est incomplet. Et il manque de financement. Selon le March of Dimes, il faudrait 312 millions de dollars par an pour le rendre fiable - mais les fonds ne suivent pas.Le message est simple : vous n’avez pas besoin d’être une experte pour protéger votre bébé. Vous avez besoin d’être bien informée. Posez des questions. Demandez les notices. Parlez à un professionnel. Et surtout, ne prenez pas de décision seule - surtout si c’est pour arrêter un traitement essentiel.
Quels médicaments sont sûrs pendant la grossesse ?
Il n’y a pas de liste universelle, car chaque cas est unique. Mais certains médicaments ont des données solides de sécurité : la sertraline pour la dépression, la méthylodopa pour l’hypertension, le budesonide pour l’asthme, et la folic acid (acide folique) pour prévenir les malformations. En revanche, évitez l’isotrétinoïne, le valproate et le thalidomide. Consultez toujours un professionnel avant de commencer, arrêter ou changer un traitement.
Pourquoi les médecins ne donnent-ils pas plus d’informations ?
Beaucoup de médecins ne sont pas formés à la pharmacovigilance pendant la grossesse. Une enquête de l’AAFP en 2021 montre que 68 % des généralistes rencontrent régulièrement des médicaments pour lesquels les données sont insuffisantes. De plus, les notices sont souvent complexes, et les systèmes informatiques des hôpitaux ne déclenchent pas d’alertes automatiques dans 72 % des cas. Ce n’est pas une négligence - c’est un manque de ressources et d’outils.
Les compléments alimentaires sont-ils sans risque ?
Non. Beaucoup de femmes pensent que « naturel » = « sûr », mais ce n’est pas vrai. L’huile de ricin peut déclencher un accouchement prématuré, certaines herbes comme le ginseng ou la sauge peuvent affecter la pression artérielle ou la coagulation. Même la vitamine A en forte dose peut causer des malformations. Toujours informer votre médecin de tout complément que vous prenez - même si vous le trouvez en pharmacie sans ordonnance.
Que faire si je suis enceinte et que je prends un médicament interdit ?
Ne paniquez pas. Arrêtez le médicament immédiatement, mais contactez votre médecin ou un centre spécialisé dès que possible. Certains médicaments, comme l’isotrétinoïne, doivent être arrêtés avant la 4e semaine de grossesse pour éviter les risques. D’autres, comme le valproate, peuvent être remplacés par un traitement plus sûr. Le plus important : ne pas attendre. Plus tôt vous agissez, plus vous réduisez les risques.
Les alertes de sécurité sont-elles fiables ?
Les alertes officielles de la FDA, de l’EMA ou de l’ANSM sont les plus fiables. Elles sont basées sur des données collectées sur des milliers de cas, et révisées par des comités d’experts. Mais elles sont souvent tardives - parfois de plusieurs années. Ne les attendez pas pour agir. Si vous avez un doute, consultez un centre spécialisé ou un pharmacien spécialisé en grossesse. La vigilance personnelle est la première ligne de défense.
Ecrit par Gaëlle Veyrat
Voir tous les articles par: Gaëlle Veyrat