Vous pensez que les ingrédients inactifs dans vos comprimés n’ont aucun rôle ? C’est une idée répandue, mais elle est de plus en plus remise en question par la science. Ces composants, appelés excipients, représentent jusqu’à 99 % de la masse d’un médicament. Pourtant, on les appelle « inactifs » comme s’ils étaient neutres. En réalité, certains peuvent influencer la façon dont votre corps absorbe, réagit ou réagit mal à un traitement.
Les excipients, plus que de simples remplisseurs
Un comprimé ne contient pas seulement la molécule qui guérit. Il contient aussi du lactose pour donner du volume, du stéarate de magnésium pour éviter que les poudres ne collent aux machines, du croscarmellose sodique pour le faire fondre dans votre estomac, et parfois même du tartrazine pour la couleur. Ces éléments sont indispensables à la fabrication, à la stabilité et à l’absorption du médicament. Mais ce n’est pas parce qu’ils ne traitent pas la maladie qu’ils sont inoffensifs.
En 2020, une étude publiée dans Science a révélé que 38 excipients sur 314 testés interagissaient avec des cibles biologiques humaines. Certains, comme l’aspartame, bloquent des récepteurs dans le corps à des concentrations atteintes lors d’une prise normale. Le propylène glycol, présent dans de nombreux sirops et comprimés, inhibe une enzyme liée au métabolisme des neurotransmetteurs. Et le benzoate de sodium, utilisé comme conservateur, agit sur une enzyme impliquée dans la dégradation de la dopamine. Ces effets ne sont pas toujours visibles, mais ils existent.
La FDA et les règles du jeu
La Food and Drug Administration (FDA) reconnaît que les excipients sont « non thérapeutiques » - mais pas « inactifs ». Son base de données, mise à jour chaque trimestre, liste plus de 1 500 excipients autorisés, avec des limites de concentration précises selon la voie d’administration. Pour un comprimé oral, une dose de polysorbate 80 peut aller jusqu’à 5 %. Mais pour une injection intraveineuse, cette même substance ne doit pas dépasser 0,05 %. Pourquoi ? Parce que le corps réagit différemment selon la manière dont la substance entre en contact avec les tissus.
La FDA exige que les génériques soient identiques aux médicaments de référence pour les produits injectables, ophtalmiques ou otiques. Pour les comprimés oraux, en revanche, les fabricants peuvent changer les excipients - tant qu’ils prouvent que la sécurité et l’efficacité ne sont pas altérées. C’est là que les problèmes commencent. En 2022, 17 % des demandes de génériques ont été rejetées, pour la plupart à cause d’excipients mal justifiés ou mal dosés.
Des différences mineures, des conséquences majeures
Un changement d’excipient peut sembler anodin - remplacer le stéarate de magnésium par du stéaryl fumarate de sodium, par exemple. Mais en 2020, l’agence a rejeté une demande de générique d’Entresto parce que ce simple changement modifiait la vitesse de libération du médicament à un pH de 6,8. Résultat ? Le corps absorbait moins de la molécule active. Pas assez pour être dangereux, mais pas assez non plus pour être efficace.
En 2018, 14 génériques de valsartan ont été rappelés à cause d’une contamination par une substance cancérigène, NDMA. Ce n’était pas le principe actif qui était en cause - c’était un nouveau solvant utilisé pour fabriquer l’excipient. Une erreur de formulation, pas de contamination extérieure. Un seul changement dans un ingrédient « inactif » a mis des milliers de patients en danger.
Les génériques, entre économie et risque
Les fabricants de génériques cherchent à réduire les coûts. Utiliser un excipient déjà disponible, moins cher ou plus facile à traiter, c’est logique. Mais ce n’est pas sans risque. L’étude de l’Agence européenne des médicaments (EMA) montre que les différences d’excipients sont une cause majeure de rejet des dossiers. Et les coûts pour justifier un nouveau composant ? En moyenne, 1,2 million de dollars et 18 mois de recherche.
Des entreprises comme Teva ont réussi à remplacer le glycolate d’amidon par du croscarmellose sodique dans un générique de Jardiance - sans impact sur l’absorption. Les données de bioéquivalence étaient parfaites : les taux dans le sang étaient presque identiques. Mais ce succès n’est pas automatique. Il faut des études, des tests, des preuves. Et beaucoup de temps.
Les excipients et les réactions inattendues
Vous avez déjà eu une réaction allergique à un médicament sans que le principe actif soit en cause ? C’est possible. Des cas de réactions cutanées, de maux de tête ou de troubles digestifs ont été liés à des excipients comme le lactose, le gluten (présent dans certains amidons), le tartrazine ou l’aspartame. Ces substances ne sont pas des allergènes classiques, mais certaines personnes les tolèrent mal - surtout à long terme ou en combinaison avec d’autres médicaments.
La FDA a lancé en décembre 2023 un programme pilote pour surveiller 12 excipients à risque dans les comprimés dissolvables - notamment l’aspartame et le saccharine. Pourquoi ? Parce que 0,002 % des patients ont signalé des réactions d’hypersensibilité. Ce chiffre semble minuscule. Mais quand des millions de personnes prennent un médicament chaque jour, même 0,002 % représentent des centaines de cas.
Le futur : des excipients intelligents, pas juste des remplisseurs
Les scientifiques ne voient plus les excipients comme des accessoires. Ils les étudient comme des acteurs à part entière. La FDA prépare une mise à jour de sa base de données pour inclure des estimations de concentration dans les tissus. Cela permettra de prédire quels excipients pourraient interagir à l’intérieur du corps, pas seulement dans un tube à essai.
Un modèle informatique est en cours de développement pour analyser les interactions entre excipients et cibles biologiques. À l’avenir, chaque nouveau composant devra être testé contre 50 cibles à risque. Cela pourrait ajouter jusqu’à un million de dollars au coût de développement d’un générique. Mais c’est aussi la seule façon d’éviter de nouveaux rappels, de nouvelles erreurs, de nouvelles souffrances inutiles.
Les grandes entreprises pharmaceutiques soutiennent que les excipients ont des décennies de sécurité derrière eux. Et c’est vrai - pour les composants classiques. Mais avec l’essor des formulations complexes : comprimés à libération prolongée, mélanges de plusieurs médicaments, systèmes de délivrance intelligents… les règles du passé ne suffisent plus.
Que faire si vous êtes concerné ?
Si vous prenez plusieurs médicaments, si vous avez des réactions inexpliquées, ou si vous êtes sensible à certains composants (lactose, gluten, colorants), vérifiez les excipients sur la notice. Les fabricants sont obligés de les lister. Et si vous avez des doutes, parlez-en à votre pharmacien. Il peut vous aider à trouver une version sans un excipient spécifique, ou à comprendre pourquoi un changement a été fait.
Les excipients ne sont plus ce qu’ils étaient. Ce ne sont plus des simples outils de fabrication. Ils font partie du traitement. Et leur rôle, même « inactif », mérite qu’on s’y intéresse.
Les excipients peuvent-ils causer des allergies ?
Oui, bien que ce soit rare. Certains excipients comme le lactose, le gluten (dans certains amidons), le tartrazine ou l’aspartame peuvent provoquer des réactions chez les personnes sensibles. Ces réactions ne sont pas des allergies classiques, mais des intolérances ou des hypersensibilités. Elles peuvent se manifester par des éruptions cutanées, des maux de tête, des troubles digestifs ou une fatigue inexpliquée. Si vous suspectez un excipient, vérifiez la liste sur la notice ou demandez à votre pharmacien une version sans ce composant.
Pourquoi les génériques ont-ils parfois des excipients différents ?
Pour réduire les coûts et faciliter la production. Les fabricants de génériques ne sont pas obligés d’utiliser les mêmes excipients que le médicament d’origine, tant qu’ils prouvent que la sécurité et l’efficacité ne sont pas affectées. Mais ce changement doit être justifié par des études de bioéquivalence. Parfois, un excipient plus facile à obtenir ou moins cher est choisi - ce qui peut entraîner des différences subtiles dans la vitesse d’absorption du médicament.
Les excipients sont-ils contrôlés par les autorités ?
Oui, mais de manière inégale. La FDA et l’EMA maintiennent des bases de données avec des limites de concentration pour chaque excipient selon la voie d’administration (oral, injectable, oculaire…). Pour les médicaments injectables, les excipients doivent être identiques à ceux du médicament d’origine. Pour les comprimés, des différences sont autorisées, mais doivent être prouvées sûres. Malgré cela, 17 % des demandes de génériques sont rejetées pour des problèmes liés aux excipients.
Comment savoir quels excipients sont dans mon médicament ?
La liste des excipients est obligatoirement indiquée sur la notice du médicament, sous la rubrique « Composition » ou « Ingrédients ». Elle apparaît souvent en petits caractères, mais elle est présente. Si vous avez du mal à la lire, demandez à votre pharmacien de vous la fournir. Certains sites officiels, comme celui de la FDA ou de l’ANSM, permettent aussi de consulter la composition des médicaments approuvés.
Les nouveaux médicaments contiennent-ils plus d’excipients que les anciens ?
Oui. En 2023, 87 % des nouveaux médicaments contenaient au moins un excipient innovant - souvent pour améliorer la libération du principe actif, réduire les effets secondaires ou rendre le traitement plus facile à prendre (comme les comprimés dissolvables). Ces excipients sont plus complexes, parfois conçus pour cibler des zones spécifiques du corps. Mais leur sécurité n’est pas toujours bien connue à long terme, ce qui pousse les autorités à renforcer les contrôles.
Ecrit par Gaëlle Veyrat
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