Quand une entreprise veut lancer un médicament générique aux États-Unis, elle ne dépose pas simplement un dossier et attend. La FDA classe ces demandes en deux voies : révision standard et révision prioritaire. La différence ? Deux mois. Mais ces deux mois peuvent valoir des centaines de millions de dollars.
Comment ça marche ?
Toute demande de générique aux États-Unis s’appelle une ANDA (Abbreviated New Drug Application). La FDA a mis en place un système de délais précis pour les traiter. Pour une révision standard, le délai cible est de 10 mois. Pour une révision prioritaire, il tombe à 8 mois. Ce n’est pas une question de favoritisme. C’est une règle écrite, fixée par les GDUFA III (Generic Drug User Fee Amendments), qui s’appliquent depuis octobre 2022 et courront jusqu’en 2027.
La révision commence seulement après que la FDA a vérifié que le dossier est complet. Si des éléments manquent, elle envoie une lettre de « Refuse-to-Receive » (RTR). Le demandeur doit alors payer à nouveau les frais de dépôt - 164 880 $ en 2024 - et recommencer depuis le début. En 2022, 31,7 % des ANDA ont reçu au moins une lettre de réponse complète (CRL), souvent à cause de problèmes dans la fabrication ou la chimie du produit.
Qui obtient la révision prioritaire ?
La révision prioritaire n’est pas donnée à tout le monde. Elle est réservée à trois cas précis :
- Le premier générique d’un médicament après l’expiration du brevet (« first generic »)
- Un médicament qui répond à une pénurie de produit sur le marché
- Un générique complexe qui apporte une avancée médicale significative par rapport aux options existantes
Le premier générique est le plus convoité. Il bénéficie automatiquement d’une exclusivité commerciale de 180 jours, pendant laquelle aucun autre générique ne peut entrer sur le marché. En 2022, 92,7 % des premiers génériques ont obtenu cette exclusivité. C’est pourquoi les entreprises se battent pour déposer leur dossier en premier.
La FDA garde une base de données appelée l’Orange Book, qui liste tous les brevets et exclusivités en vigueur. C’est là que les entreprises vérifient si leur produit peut être considéré comme le premier. Si elles se trompent, elles risquent d’être rejetées ou de se retrouver en procès.
Le nouveau programme de fabrication aux États-Unis
En octobre 2023, la FDA a lancé un programme pilote qui change la donne. Il s’agit de l’ANDA Prioritization Pilot Program. Il accorde une priorité supplémentaire aux demandes qui répondent à trois critères :
- Les tests de bioéquivalence sont réalisés aux États-Unis
- Le médicament fini est fabriqué sur un site américain
- Le principe actif (API) provient entièrement d’un fournisseur américain
Le but ? Réduire la dépendance aux chaînes d’approvisionnement étrangères. En 2021, 80 % des principes actifs étaient fabriqués hors des États-Unis. Pendant la pandémie, cela a créé des ruptures critiques. Le programme vise à porter la part des génériques fabriqués aux États-Unis de 28 % à 40 % d’ici cinq ans.
Le problème ? Très peu d’entreprises remplissent actuellement ces critères. Selon les données de la FDA, seulement 12,3 % des fabricants de génériques ont tous les sites américains nécessaires. Pour les produits complexes - comme les inhalateurs ou les crèmes à libération prolongée - les excipients spécialisés viennent encore majoritairement d’Europe ou d’Asie. Beaucoup de fabricants ne peuvent pas changer facilement leurs fournisseurs sans revalider tout le processus.
Les conséquences économiques
Deux mois de retard, c’est combien d’argent ? Beaucoup. Selon Dr. John Jenkins, ancien directeur de l’Office des nouveaux médicaments à la FDA, un premier générique qui entre sur le marché deux mois plus tôt peut générer entre 200 et 500 millions de dollars de revenus supplémentaires. C’est pourquoi les grandes entreprises comme Teva, Sandoz et Hikma investissent massivement.
En 2023, 68 % d’entre elles ont augmenté leur capacité de tests de bioéquivalence aux États-Unis de 22 % en un an. Les sociétés de recherche contractuelle comme PPD et Covance ont vu leur activité augmenter de 35 %. Les entreprises savent que le gain financier justifie l’investissement.
En 2022, 28,4 % des ANDA approuvés ont bénéficié de la révision prioritaire - contre 21,1 % en 2020. C’est une augmentation de 37 % en seulement deux ans. La FDA prévoit que cette proportion atteindra 32,8 % en 2024, avec 1 275 demandes attendues cette année.
Les défis techniques et les solutions
Malgré les délais, les dossiers ne passent pas toujours en une seule étape. En moyenne, un ANDA nécessite 1,7 cycles de révision avant d’être approuvé. Chaque cycle ajoute environ 4,2 mois au processus. La principale cause ? Les problèmes de fabrication et de contrôle de la qualité (CMC), qui représentent 47,2 % des retards.
Pour y répondre, la FDA a lancé en janvier 2023 un programme pilote pour les génériques complexes. Il permet aux entreprises de rencontrer les experts de la FDA avant de déposer leur dossier. Cela permet d’éviter les erreurs coûteuses. En 2020, seulement 41 % des entreprises faisaient ces réunions. En 2023, elles sont 63 %. Résultat : le taux d’approbation au premier cycle est passé de 24,1 % à 38,7 %.
Les génériques complexes - inhalateurs, patchs, formes modifiées - représentent 18,3 % des dossiers en attente, mais seulement 9,7 % des approbations. Ils sont plus difficiles à reproduire fidèlement. La FDA travaille aussi sur des outils d’intelligence artificielle pour automatiser certaines parties du contrôle. Un test interne a montré une réduction de 18,7 % du temps de revue pour les dossiers simples.
Et maintenant ?
Le marché des génériques aux États-Unis vaut 128,7 milliards de dollars en 2022. Il représente 88,6 % des prescriptions, mais seulement 15,3 % des dépenses. C’est un terrain de compétition féroce. Même si un médicament a perdu son brevet, il peut rester sur le marché sans générique pendant 2,7 ans en moyenne, à cause des litiges ou des retards réglementaires.
Le nouveau programme de fabrication locale est une réponse directe à l’ordre exécutif du président Biden sur la sécurité des chaînes d’approvisionnement. 97 % des antibiotiques et 93 % des antiviraux ont au moins une étape de fabrication hors des États-Unis. Ce n’est pas seulement une question économique. C’est une question de sécurité nationale.
Les entreprises qui veulent rester compétitives doivent adapter leur stratégie. Soit elles investissent dans des sites américains, soit elles se concentrent sur les génériques simples, où la révision prioritaire reste accessible. Les petites entreprises risquent d’être écrasées si elles ne peuvent pas suivre ce rythme.
En 2026, les analystes d’Evaluate Pharma estiment que ces changements pourraient accélérer l’entrée des génériques de 4,3 mois en moyenne. Cela pourrait faire économiser au système de santé américain 18,7 milliards de dollars par an. Ce n’est pas juste une question de délais. C’est une révolution en cours.
Quelle est la différence entre révision standard et révision prioritaire à la FDA ?
La révision standard prend 10 mois, la révision prioritaire 8 mois. La priorité est réservée aux premiers génériques, aux médicaments en pénurie ou aux produits complexes avec un avantage médical. Ce n’est pas une question de qualité, mais de priorité stratégique pour le marché.
Comment savoir si un générique est le premier sur le marché ?
La FDA publie l’Orange Book, une base de données qui liste tous les brevets et exclusivités des médicaments. Une entreprise doit vérifier cette base avant de déposer son ANDA. Si elle est la première à soumettre un dossier complet après l’expiration du brevet, elle obtient l’exclusivité de 180 jours.
Le programme de fabrication américaine est-il obligatoire pour la révision prioritaire ?
Non, il n’est pas obligatoire. C’est un programme pilote qui ajoute une priorité supplémentaire à ceux qui répondent aux trois critères : tests de bioéquivalence aux États-Unis, fabrication américaine et API américain. Cela ne remplace pas la révision prioritaire classique, mais la renforce.
Pourquoi les dossiers de génériques sont-ils souvent rejetés ?
Les trois principales raisons sont : les problèmes de fabrication et de contrôle de qualité (CMC), les erreurs dans les données de bioéquivalence, et les incohérences dans la notice. Les dossiers incomplets ou mal préparés reçoivent une lettre de réponse complète (CRL), ce qui repousse le délai de plusieurs mois.
Quels sont les avantages de rencontrer la FDA avant de déposer un dossier ?
Les réunions pré-submission permettent d’identifier les lacunes avant le dépôt. Cela réduit les risques de rejet. En 2023, les entreprises qui ont suivi ce processus ont vu leur taux d’approbation au premier cycle passer de 24 % à 39 %. C’est une économie de temps et d’argent considérable.
Ecrit par Gaëlle Veyrat
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